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jui

traversée d'Epictète hier, à une terrasse de café, en très bonne compagnie...

J'ai lu de l'Epictète et quelques idées du contentement intérieur, hier.
Du coup, nuit chaotique et matin pour "rien".

ah merci la Grèce hein!

(et Wikipédia, si, si)

" Principes du Manuel d'Epictète

Le Manuel invite à reconnaître l'impossibilité pour l'homme de contrôler ce qui ne dépend pas de lui : l'avis des autres, la richesse, la chance, les malheurs, la mort. L'idée à la racine de l'ouvrage est la nécessité de n'attacher d'importance qu'à ce qui dépend de nous : opinions, désirs, pensées, et autres « opérations de l'âme ». Le philosophe doit se concentrer sur ce qui est sous son contrôle, c'est-à-dire son âme, seule partie libre de son être. Vouloir changer ce qui ne dépend pas de lui rend l'homme malheureux, tandis qu'accepter son impuissance sur ces choses et ne s'occuper que de la partie de lui-même qu'il peut contrôler l'amène à un bonheur immuable et infini : cette distinction entre ce qui peut être contrôlé et ce qui échappe à la volonté humaine est la base fondamentale de la doctrine. Les trois principes pour l'ataraxie y sont développés, de manière à apprendre à distinguer ce qui dépend de soi et ce qui ne dépend pas de soi : concevoir et comprendre la fatalité, être indifférent aux événements extérieurs qui ne dépendent pas de soi, agir au mieux dans les domaines qui dépendent de soi.

L'ouvrage s'attache à décrire toute chose humaine comme étant essentiellement éphémère : chaque personne, mais aussi chaque chose à portée du philosophe sera détruite et oubliée. Le philosophe doit accepter cette nécessité et ne pas s'attrister de la disparition des choses périssables, qui sont dans l'ordre des choses, pas même de la mort de ses proches, qui ne peut pas être évitée. S'attacher aux choses matérielles est une erreur qui amène à la souffrance, alors même que le sage peut jouir des objets sans s'y attacher. De même, le corps, facilement dégradé, ne doit pas être l'objet de toute l'attention du sage car il est soumis aux aléas du monde, tandis que l'âme peut être contrôlée et amenée à un état de bonheur égal et éternel, non exposé à la dégradation du corps.

Les autres principes explicités dans le Manuel sont la nécessité de ne pas se perdre en discours philosophique, mais plutôt de vivre une vie philosophique, ce qui est beaucoup plus bénéfique au sage, ainsi que le devoir de conserver une distance avec les faits : rien, d'après Épictète, n'est bien ou mal par nature. Seule l'opinion qu'une chose est bonne ou mauvaise rend cette chose telle aux yeux de l'homme. En supprimant l'opinion du mal, l'homme supprime le mal et peut vivre libre et droit."

12:52 30/07/2015 | Lien permanent | Tags : act-u, ego trip-e |  Facebook

Notre besoin de narration est impossible à rassasier...

D’où vient donc notre addiction à la narration?

"Que voyez-vous ici? Notre cerveau «utilise ce qu’il a sous la main et improvise le reste. La première explication qui semble faire du sens fera l’affaire.» (Shimla, Himachal Pradesh, Inde. Image: Getty)

Que voyez-vous ici? Notre cerveau «utilise ce qu’il a sous la main et improvise le reste. La première explication qui semble faire du sens fera l’affaire.» (Shimla, Himachal Pradesh, Inde. Image: Getty)

Pourquoi les humains sont-ils à ce point épris de récits? Le cerveau est une machine à sécréter des histoires – et la fiction nous habitue à lire dans les pensées d’autrui

Nous sommes, vous et moi, des animaux narratifs: Homo sapiens est «le grand singe avec l’esprit conteur», selon l’expression de Jonathan Gottschall, chercheur évoluant à la frontière entre la théorie littéraire et celle de l’évolution. Nous sommes la seule espèce, dit-on, à avoir cette passion – encore qu’il soit déconseillé d’y mettre sa main au feu, comme on le verra plus loin. Notre cerveau, dans tous les cas, passe son temps à fabriquer des récits et à avaler insatiablement ceux que produisent les autres. «La narration est pour un humain comme l’eau pour un poisson – complètement englobante et presque impalpable», note Gottschall dans The Storytelling Animal. How Stories Make Us Human (Mariner, 2012). Mais pourquoi?

En dehors de la biologie et des sciences du cerveau, des essayistes se sont attelés à décrire et à motiver cette compulsion, tels qu’Umberto Eco dans Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs (1994) ou Nancy Huston dans L’espèce fabulatrice (2008). La fréquentation de la fiction, écrivent-ils, permet d’apprivoiser le monde réel et de produire du sens à partir des événements plus ou moins disparates de notre vie. Le constat était là, donc. Restait à ouvrir la boîte noire du cerveau pour voir comment cette particularité de notre espèce s’inscrit là-dedans. Restait, aussi, à essayer de comprendre pourquoi notre histoire évolutive nous a doté d’une pareille étrangeté.

La théorie de l’interprète

Si nous sommes à ce point épris de narration, c’est parce que notre compréhension du monde et de nous-mêmes est fabriquée par un système cérébral qui nous raconte des histoires en permanence. Le neuroscientifique Michael Gazzaniga, qui l’étudie et le décrit depuis une quarantaine d’années, l’appelle «l’interprète»: un mécanisme qui «élabore une narration à partir de nos actions et nous donne l’impression d’avoir un esprit unifié», écrit-il dans son dernier livre, Tales from Both Sides of the Brain. A Life in Neuroscience (Ecco/Harper Collins, 2015).

Les histoires que nous raconte l’interprète sont-elles vraies? L’interprète lui-même, si l’on ose dire, s’en fiche: il suffit pour lui qu’elles aient un minimum de cohérence. «Il utilise ce qu’il a sous la main et improvise le reste. La première explication qui semble faire du sens fera l’affaire», écrit Gazzaniga. La vitesse prime donc sur l’exactitude: «Ce mode de fonctionnement a un effet néfaste sur la précision, mais il facilite en général l’élaboration de nouvelles informations.»

Le processus par lequel le phénomène a été mis au jour est devenu lui-même un récit presque légendaire. Nous sommes au début des années 70. Gazzaniga mène des tests cognitifs avec des patients dont les hémisphères cérébraux ont été séparés chirurgicalement pour soulager les effets d’une épilepsie incurable. Chez ces patients, les deux moitiés du cerveau ne communiquent donc plus entre elles: aucune des deux ne sait ce que l’autre fabrique. Ce qui n’empêche pas les propriétaires de ces cerveaux de fonctionner normalement – à quelques détails près.

Expérience: on montre deux images à ces patients, une pour chaque œil, en prenant soin de séparer les yeux avec une cloison qui isole les deux champs de vision. L’œil gauche, connecté au cerveau droit, voit une allée enneigée. L’œil droit, connecté à l’hémisphère gauche, voit un poulet. On ôte ensuite la cloison pour montrer une série d’autres images aux deux hémisphères, demandant au patient de pointer du doigt celle qui s’apparie le mieux à celle qu’il a vue avant. La main gauche, pilotée par le cerveau droit, choisit une pelle.

«Pourquoi ce choix?» demande le chercheur. Le cerveau droit l’a choisie pour déblayer l’allée enneigée: normal. Mais le cerveau gauche, celui qui contrôle le langage et donc qui répond au chercheur, ne le sait pas: il n’a pas vu la neige, lui, il a vu un poulet… Pourquoi veut-il la pelle, alors? La réponse correcte consisterait à dire qu’il n’en a pas la moindre idée. Mais ça, il ne peut l’admettre: c’est contre sa nature. Il répond donc: «Parce qu’il faut une pelle pour nettoyer le poulailler!» C’est ainsi que, attelé à «concocter une histoire pour expliquer le pourquoi», le cerveau gauche du patient «avait affabulé à partir des indices disponibles», commente Gazzaniga dans Le libre arbitre et la science du cerveau (Odile Jacob, 2013).

Voilà donc «ce que notre cerveau fait à longueur de journée: il prend les impulsions venues de ses différentes régions et de l’environnement extérieur, et il les synthétise en une histoire qui fait du sens», écrit le chercheur en revenant sur la question dans Tales from Both Sides of the Brain. Si tout va bien, l’explication sera juste. Dans tous les cas, elle aura satisfait notre besoin de narration. «Nous, les humains, sommes toujours en quête d’un pattern, d’une cause et d’un effet, du sens des choses. Ce faisant, nous trouvons notre bizarre unicité.»

La théorie de l’esprit

Lire les penseés des autres, ce n’est pas une faculté paranormale: c’est ce que nous faisons sans arrêt, depuis tout petit. Notre cerveau sait faire cela, car il possède ce qu’on appelle la «théorie de l’esprit». Chacun de nous «théorise», très jeune, que les autres êtres humains sont dotés d’un esprit, et que celui-ci fonctionne de la même manière que celui qu’on sent à l’œuvre à l’intérieur de soi. Cela permet de faire des théories sur l’esprit des autres, cueillant des indices et les tricotant ensemble pour imaginer ce que nos semblables ressentent, ce qu’ils cogitent, ce qu’ils mijotent.

Voici le deuxième pilier de notre relation passionnée à la narration. «La théorie de l’esprit est un ensemble d’adaptations cognitives qui nous permettent de naviguer dans notre monde social. Membres d’une espèce intensément sociale, nous lisons donc de la fiction parce qu’elle mobilise notre théorie de l’esprit d’une façon particulièrement intense. Nous lisons des romans parce qu’ils font travailler notre théorie de l’esprit», écrit la narratologue Lisa Zunshine dans Why We Read Fiction. Theory of Mind and the Novel (Ohio State University Press, 2006). Ancré dans notre nature, massivement amplifié par la culture, notre penchant pour le récit semble ainsi avoir été sélectionné par l’évolution parce qu’il entretient et développe notre capacité fondamentale de lire autrui.

La «théorie de l’esprit» est un phénomène inné, elle est inscrite dans l’équipement de base de notre cerveau. Puissamment «culturogène», elle donne lieu à de gigantesques quantités de culture. Cette dernière devient une partie prépondérante de l’environnement qui influence à son tour notre évolution: nature et culture sont ainsi prises dans ce qu’on appelle désormais «coévolution».

Les animaux simulateurs

Sommes-nous vraiment les seuls? L’unique espèce dotée d’un esprit narratif et d’un penchant pour le récit? «Probablement», suggère Michael Gazzaniga. Parmi les chercheurs qui étudient les primates non-humains, ils sont pourtant nombreux à être d’un autre avis. Chez les grands singes, et peut-être même chez d’autres mammifères, on rencontre en effet un mécanisme narratif élémentaire, consistant à créer une réalité fictive à côté du monde réel. Les chimpanzés, les bonobos et les orangs-outans se révèlent capables d’orchestrer des mises en scène, faisant semblant que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent.

Il en va ainsi de Kanzi, un bonobo étudié par la primatologue Sue Savage-Rumbaugh: «Il fait semblant de manger une nourriture qui n’est pas là, de nourrir les autres avec une nourriture imaginaire, de cacher cette nourriture, de la trouver, de la soustraire à d’autres individus, de la leur rendre, de s’enfuir avec une bouchée imaginaire.» Il en va de même pour Viki, la femelle chimpanzé que Cathy et Keith Hayes entreprennent d’élever chez eux comme un enfant humain dans les années 1940: la petite primate s’amuse, racontent-ils, à traîner derrière elle un jouet imaginaire, et même à faire semblant de l’avoir coincé quelque part, pour ensuite le dégager (exemples cités dans le recueil The Nature of Play: Great Apes and Humans, Guilford, 2005).

Que conclure? Si les prémices de la narration se rencontrent chez les grands singes (ou même chez les chiens, note Robert W. Mitchell dans Pretending and Imagination in Animals and Children, Cambridge University Press, 2002) et si le moteur de la littérature réside dans la biologie de notre cerveau, cela n’enlève rien à la grandeur et aux fourvoiements de la fiction, qui nous entoure dans des romans, des pièces de théâtres, des films et des séries TV, mais aussi des mythes religieux, des programmes politiques, des ragots, des théories du complot – et les récits de nos amis sur les réseaux sociaux."

12:47 30/07/2015 | Lien permanent | Tags : lis tes ratures |  Facebook

Antiracisme et lutte contre l’homophobie : retour aux convergences

Traduction inédite, en français, pour le site de la revue Ballast:

http://www.revue-ballast.fr/retour-aux-convergences/

À l'heure où certains s'interrogent et s'inquiètent de la montée de « l'homonationalisme » (« Toutes les Folles ne sont pas au Front », clamait très récemment, non sans provocation, l'affiche de la Gay Pride de Metz) et où le Parti des Indigènes de la République peut très tranquillement affirmer que « les habitants des quartiers ne souhaitent pas politiser leur sexualité », il n'est pas inutile de rappeler les convergences qui eurent lieu, dans les années 1970, entre les mouvements antiracistes, anticapitalistes, féministes et partisans de la lutte contre l'homophobie. Nous avons pour ce faire traduit ce texte, paru il y a quelques semaines dans la Socialist Review, sous la plume de Noel Halifax, auteur de l'ouvrage Out, Proud & Fighting. 


En août 1970, le cofondateur du Black Panther Party, Huey Newton, écrivit dans le journal des Panthers « Une lettre aux frères et sœurs révolutionnaires à propos de la libération des femmes et des gays ». Il y avançait que ces derniers mouvements étaient des causes sœurs et engageait les Panthers à soutenir la libération homosexuelle. Cela s'avérait inhabituel pour l'époque : dans les années 1970, le stalinisme et le maoïsme dominaient la gauche et tous deux percevaient l’homosexualité comme une déviation bourgeoise, un passe-temps de l'élite décadente. De quelle façon cela put-il dès lors se produire ?

Au printemps 1970, les Black Panthers se trouvaient en difficulté. Ils s'étaient construits en 1966 dans les quartiers noirs et, suite aux troubles politiques de 1968, l’État américain — et le FBI en particulier — décidèrent d'en finir avec eux. Ils furent assassinés, persécutés et harcelés ; le mouvement fut sur le point de s'effondrer. L'autre fondateur du BPP, Bobby Seale, attendait son second procès : il était incarcéré depuis deux ans. Vingt Panthers furent arrêtés à New York pour « conspiration contre leur pays » avec une caution placée à 2,1 millions de dollars.

« Le stalinisme et le maoïsme dominaient la gauche et tous deux voyaient l’homosexualité comme une déviation bourgeoise, un passe-temps de l'élite décadente. »

L'une des figures majeures du BPP, Eldridge Cleaver, avait fui à Cuba puis en Algérie, de crainte d'être assassiné ou arrêté. Les Panthers durent faire face à des frais de justice faramineux au moment même où leurs soutiens se faisaient rares. C'est dans ce contexte que l'écrivain français Jean Genet reçut un coup de fil : David Hilliard, également des Panthers, l'appelait pour solliciter son aide et son soutien. La réponse de l'écrivain fut immédiate : il demanda ce qu'il pouvait faire et, dans la semaine, effectuait déjà le tour des universités américaines et des grandes villes afin de lever des fonds. Il reprocha à la gauche, et surtout au SDS [Étudiants pour une société démocratique — la principale organisation étudiante de gauche], de ne pas se montrer plus vigoureux dans leur soutien aux Panthers. Cette tournée de trois mois fut remarquable — notamment car Genet séjournait illégalement aux États-Unis (on lui avait refusé son visa d'entrée puisqu'il avait été condamné pour des délits à plusieurs reprises et qu'il était l'homosexuel le plus mondialement célèbre — sans rien dire de ses liens avec la gauche révolutionnaire française...). Il s'était rendu au Canada, avait traversé discrètement la frontière pour faire ses apparitions lors de sa grande tournée, sous la surveillance permanente du FBI. Sa renommée était telle qu'il ne fut jamais arrêté. Jean Genet était un orphelin abandonné par une mère prostituée et un père inconnu, élevé dans l'horrible système semi-militaire des orphelinats de la France des années 1910. Il grandit en voleur, prostitué travesti, cambrioleur et vagabond, vivant dans les bas-fonds des cités de l'Hexagone et de l'Espagne des années 1930. On peut le dire : il exécrait la société française respectable. 

La prison

En 1948, il se trouvait en prison, condamné à perpétuité. Il écrivait dans les conditions les plus affreuses, souvent sur du papier toilette, mais finit par être lu par Jean-Paul Sartre, et bien d'autres : sa cause fut entendue. Il fut acquitté et relâché au terme d'une campagne menée pour sa libération. Son premier roman fut publié juste après la guerre, suivi par d'autres, dans les années 1950 et 60, ainsi que des pièces de théâtre. Genet était l'incarnation parfaite de l'écrivain existentialiste et n'éprouvait aucune honte pour son homosexualité : il narrait des descriptions sexuelles détaillées et des drames émotionnels à une époque où l'homosexualité était illégale et, au mieux, considérée comme une maladie (à l'exception des milieux bohèmes). Genet commença à s'intéresser vivement aux Panthers et les soutint aussitôt. Il avait écrit Les Nègres en 1958, une pièce à la distribution entièrement noire, mettant en scène la vengeance des opprimés à l'encontre de leurs oppresseurs — la première new-yorkaise se déroula en 1961 (et fut jouée jusqu'en 1963, avant de partir pour Montréal). Ce fut une pièce cruciale pour le développement du théâtre noir aux États-Unis : y figurèrent ceux qui deviendront la crème des acteurs afro-américains, à l'instar de James Earl Jones et Maya Angelou.

« Davis se souviendra également qu'il ne fit aucun secret de son homosexualité ; il provoqua même délibérément le débat et se querella avec les Panthers. »

Ce fut grâce à cette pièce que Genet obtint une certaine influence au sein de l'Amérique noire. Angela Davis l'assurera : Les Nègres fit de lui « un allié ». Il était également célèbre pour son soutien à l'Algérie indépendantiste, contre son propre pays, ainsi que sa dénonciation des impérialismes français et américain. L'unique autre fois où Genet s'était rendu aux États-Unis fut en août 1968, lorsqu'il participa au rassemblement de la gauche et à l'émeute qui éclata lors de la Convention démocrate de Chicago. Il fut témoin de ces événements, parla aux côtés d'écrivains tels que William Burroughs et Allen Ginsberg, et rencontra pour la première fois les Black Panthers. Angela Davis, en tant que traductrice de Genet lors de la tournée de 1970, racontera les problèmes auxquels les Panthers eurent à faire face en tentant de convaincre les Blancs radicaux, encore hésitants, de les soutenir. À l'UCLA [Université de Californie à Los Angeles], les affiches mentionnaient la présence de Genet mais n'indiquaient nullement qu'il s'exprimait au nom des Panthers. Une foule immense et majoritairement blanche vint le voir. Mais lorsqu'il fut clair que l'écrivain ne parlerait pas de ses travaux mais uniquement du parti afro-américain, plus de la moitié du public se leva pour s'en aller. Davis se souviendra également qu'il ne fit aucun secret de son homosexualité ; il provoqua même délibérément le débat (une fois, par exemple, en se travestissant) et se querella avec les Panthers du fait de leur homophobie et de l'usage qu'ils faisaient de certains termes, comme « tapette » [« faggot »]. Davis estimera que ce furent ces arguments qui poussèrent plus tard Huey Newton à écrire son article en faveur de la libération gay. Aujourd’hui, le mouvement LGBT est hautement respectable et dominé par la classe moyenne blanche — les Prides annuelles sont aux mains d'entreprises et lissées de presque tout contenu politique. Ceci n'a pas toujours été le cas. Mais les courageux efforts de Genet n'expliquent pas, à eux seuls, l'engagement des Panthers en faveur de la libération homosexuelle.

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Angela Davis (DR)

Le mouvement

Une figure centrale de l'émeute du bar Stonewall Inn, en 1969, se nommait Sylvia Rivera. À lire la description que cette dernière en fit, on saisit mieux ce qui put conduire les Panthers à s'identifier : « Nous avons été jetés hors du bar et ils [les policiers] nous ont rassemblés comme du bétail contre les camionnettes de police. Les flics nous ont poussés contre les grilles et les barrières. Les gens ont commencé à jeter des pièces de monnaie sur les flics. Puis ce furent les bouteilles... Nous ne pouvions plus supporter ces emmerdements. À l'avant se trouvaient les homos de la rue, les SDF qui vivaient dans le parc de Sheridan Square devant le bar, puis les drag queens derrière eux et tout le monde derrière nous. Les lignes téléphoniques du Stonewall Inn furent coupées et ils sont restés dans le noir. » Il est évident que bien des émeutiers étaient latinos, comme Rivera, ou noirs, comme son amie et camarade Marsha P. Johnson. Au lendemain de l'émeute, le Gay Liberation Front (GLF) émergea, avec son propre programme et ses appels à la révolution. Sylvia Rivera et Marsha P. Johnson aidèrent également à la création du STAR (Street Transvestites Action Revolutionaries), en occupant un bâtiment vide afin d'en faire une base pour les jeunes travestis sans domicile fixe.

À la Convention révolutionnaire du Peuple, à Philadelphie, en 1971, Rivera rencontra Huey Newton. Elle racontera plus tard qu'il reconnut le GLF et le STAR comme des groupes révolutionnaires. Alors que les Black Panthers s’engageaient de plus en plus dans le soutien à la libération homosexuelle, nombre d'autres groupes, d'inspiration stalinienne ou maoïste, voyaient encore le mouvement gay comme « décadent ». La gauche libérale tournait elle aussi en dérision le GLF. The Village Voice, alors journal de la gauche radicale, n'hésita pas à plaisanter au sujet des émeutes du Stonewall Inn, notant qu'elles éclatèrent probablement parce que les drag queens étaient tristes d'apprendre la mort de Judy Garland... Les Panthers et les premiers mouvements gays appartenaient en réalité à la même classe : ils étaient aussi, tous deux, des mouvements de rue — et souvent des mêmes rues et des mêmes bars. Avant que Malcolm X ne devînt Malcolm X, il avait été Malcolm Little, l'arnaqueur et le dealer qui fréquentait des bars de Boston similaires au Stonewall Inn — le futur leader se mélangeait aux drag queens comme aux dealers de drogue (il eut même, semble-t-il, des amants gays et un riche petit ami blanc).

« Le mouvement révolutionnaire noir des années 1960 et le mouvement gay avaient un gros point commun : la classe, non pas la classe prolétarienne industrielle organisée, mais le sous-prolétariat urbain désorganisé. »

Le mouvement révolutionnaire noir des années 1960 et le mouvement gay avaient un gros point commun : la classe, non pas la classe prolétarienne industrielle organisée, mais le sous-prolétariat urbain désorganisé. Sylvia Rivera était ainsi active au quartier gay Greenwich Village comme à Spanish Harlem, tout en étant membre du STAR, du GLF et du mouvement nationaliste portoricain the Young Lords. En apparence, il s'agit de mouvements d'opprimés très différents (s'identifiant au groupe opprimé en tant que groupe opprimé), mais organisés dans les mêmes rues et les mêmes quartiers. De la même manière, Marsha P. Johnson militait au sein du GLF et du STAR aussi bien qu'à Harlem. Par-delà les différences d'oppression, un même similarité de classe.

Sans domicile fixe 

Ces mouvements furent bâtis depuis la rue et dans la rue, « hors du placard et dans la rue », comme clamait le slogan. Les sans domicile fixe, les vagabonds et les jeunes qui fuyaient un contexte familial étouffant furent rejoints par un grand nombre d'objecteurs de conscience. Les États-Unis pratiquaient encore la conscription ; des centaines de milliers de pauvres, qui ne pouvaient l'éviter, durent fuir — prendre le maquis, en un sens. Existait là une armée potentielle de jeunes hommes et femmes insurgés, dans les grandes villes, en décalage par rapport à la société dominante. La politique des mouvements gays et noirs a depuis longtemps délaissé cette base originelle, au sein de cette classe révolutionnaire mais instable. Le capitalisme rose et la classe moyenne noire dominent leurs terrains respectifs depuis des décennies. Récemment, pourtant, leurs racines révolutionnaires ont été quelque peu retrouvées, des troubles qui entourèrent les meurtres de jeunes Noirs, par la police américaine, aux débats concernant la Gay Pride londonienne de cette année...

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(New York Public Library)

Jean Genet, extrait

« Tous étaient au courant de ma vie, et je peux affirmer que jamais je ne me suis heurté au moindre soupçon d’un reproche moral. Au contraire, ma biographie me rapprochait d’eux dans la mesure où j’étais moi aussi un paria marginalisé par la société. Un homme de la valeur de Jackson écrivit de sa prison qu’il regrettait de n’avoir pas menti, volé ou escroqué à cause de l’obéissance implicite aux canons de la morale occidentale qu’il représentait. David Milliard avait dans sa serviette un exemplaire du livre de Sartre et souvent il en discutait avec moi, pour rire. À mon retour en France, il m’a même demandé un article sur l’homosexualité et la révolution pour le journal des Panthers. Et cela n’était pas seulement dû à mon influence. Avant de me rencontrer, Huey Newton avait préconisé l’alliance des Panthers avec les différents groupes opprimés par la société américaine, entre autres les homosexuels du Gay Liberation Front. Les Panthers se sont débarrassés de ce puritanisme casse-pieds, d’essence chrétienne, que les pays socialistes avaient copié sur la bourgeoisie. »

Entretien entre Genet et Juan Goytisolo, 1971.


Huey P. Newton, extrait

« Quelles que soient vos opinions ou insécurités personnelles quant à l’homosexualité et les différents mouvements de libération des homosexuels et des femmes (et je parle des homosexuels et des femmes en tant que groupe opprimé), nous devrions essayer de nous unir à eux de manière révolutionnaire. […] N'oublions pas que nous n'avons pas établi de système de valeurs révolutionnaire ; nous sommes seulement en train de le mettre en place. Je n'ai pas souvenir que nous ayons défini des valeurs qui disent qu'un révolutionnaire doive tenir des propos insultants envers les homosexuels, ou qu'un révolutionnaire doive s'assurer que les femmes ne s'expriment pas à propos de leur oppression particulière. De fait, il s'agit de l'opposé : nous disons que nous reconnaissons le droit des femmes à être libres. Nous n'avons presque rien dit à propos des homosexuels, mais nous devons nous relier au mouvement homosexuel car il est bien réel. Je sais, de par mes lectures, mon expérience et mes observations que nul dans la société n'accorde de liberté ou d'autonomie aux homosexuels. Ils sont peut-être la population la plus opprimée de la société. […] Nous devrions discuter volontairement des insécurités que beaucoup de gens ont envers l’homosexualité. Quand je parle d’insécurités, je parle de la peur qu’ils soient une menace pour notre virilité. Je comprends cette peur. À cause du long procédé de conditionnement qui instille l’insécurité dans le mâle américain, l’homosexualité peut produire certains rejets en nous. J’ai moi-même des rejets vis-à-vis de l’homosexualité masculine. D’un autre côté, je n’en ai aucun envers l’homosexualité féminine. Cela est déjà un fait en lui-même. Je pense que c’est sans doute car l’homosexualité masculine est une menace pour moi, alors que l’homosexualité féminine ne l’est pas. Nous devrions être prudents lorsque nous employons des termes qui pourraient blesser nos amis. Les mots "pédale" et "salope" devraient être éliminés de notre vocabulaire, et nous devrions plus particulièrement ne pas utiliser de noms attribués aux homosexuels pour désigner les ennemis du peuple, comme Nixon ou Mitchell. Les homosexuels ne sont pas les ennemis du peuple. »

Discours de Huey Newton, fondateur des Black Panthers, 15 août 1970.


Texte publié en anglais dans la Socialist Review en juin 2015 (sous le titre « When gays and Panthers were united »), traduit pour Ballast, avec l'aimable autorisation de Noel Halifax, par Farid Belkhatir.


REBONDS

☰ Lire notre entretien avec Almamy Kanouté, « On doit fédérer tout le monde », juillet 2015
☰ Lire notre article « Pour un féminisme socialiste et inclusif », Johanna Brenner, juin 2015
☰ Lire notre entretien avec Angela Davis, « Nos luttes mûrissent, grandissent », mars 2015
☰ Lire notre article « Daniel Guérin, à la croisée des luttes », mars 2015
☰ Lire notre entretien avec Édouard Louis, « Mon livre a été écrit pour rendre justice aux dominés », janvier 2015

 

12:45 30/07/2015 | Lien permanent | Tags : act-u, lis tes ratures |  Facebook

Grande Question de Cet Eté...

ah!

Cette question nous aura posé question cet été...

 

https://www.youtube.com/watch?v=WrWcSdMj1aM

12:43 30/07/2015 | Lien permanent | Tags : ego trip-e |  Facebook

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Ateliers de l’Olivier - des journées pour écrire (relire) et écrire.

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Des journées d’écriture dans un jardin à Schaerbeek (Bruxelles), l’été.
Des espaces d’écriture variés, pluriels pour continuer à écrire ce qu’on a écrit ailleurs, de son côté et/ou "juste" écrire à partir de "rien" et de tout ce qu’on a / est / sait / veut.
Des propositions d’écriture pour des moments courts ou longs, pour s’échauffer ; pour bifurquer, pour déroger à ses règles, pour décrypter, pour se replacer, pour suivre une ligne et subir des virages.
Des thèmes, des obsessions, des rituels, des transversalités entre plusieurs pratiques et questions de l’écrit seront abordés.
Des retours sur les textes seront faits.
Un atelier, en somme.
Chaque journée est indépendante d’une autre. Il est possible de participer à 1 ou 2 ou toutes les journées.
L’atelier se confirme dès 5 participants, se ferme aux autres dès 8 participants.


Date(s) : jeudi 6, vendredi 7, samedi 8 août 2015
Prix : 35€ par jour - forfait 2 jours à 60€ - forfait 3 jours à 85€
Thés, cafés, eaux, oiseaux & chats compris.


Inscription obligatoire, quand même. ;-) (miladyrenoirmiladyrenoir @ gmail . com)
Pique nique à prévoir - possibilité de cuisiner /réchauffer mets sur place.

 

13:23 06/07/2015 | Lien permanent | Tags : atelier |  Facebook

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Exposition vivante, avec ou sans corps dedans.

La REVUE Sans-Titres, à laquelle Nicolas Marchant et moi avons contribué, propose ce soir une soirée micro-anthologie de l'usage de la parole poétique dans la performance (rien que ça!), avec une alternance de SONS (textes enregistrés et mis en scène sans présence humaine : Quentin Bambuck et Milady Renoir), de VIDEOS où la parole est la matière principale (Laurent D'Ursel, Julie Vacher, Vakkarm), et d'INTERVENTIONS physiques et vocales (Antoine Boute, Vincent Tholomé&Benjamin Pottel, Amel Benaissa) + une petite vidéo de clôture de Charley Case, muette.

Ce soir dès 19h à L'Harmonium - 293 rue vanderkindere à Uccle. Donc.

 

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11:18 03/07/2015 | Lien permanent | Tags : act-u, arts, lis tes ratures |  Facebook